MIROIR BOUDDHIQUE ET MIROIR MACONNIQUE
- Christophe Richard
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Il existe au sein du tantrisme indo-tibétain six exercices spirituels, connus sous le nom de Yogas de Naropa (1016-1100), que pratiquent encore aujourd’hui les lamas tibétains : Toumo, le Feu intérieur, Gyoulou (sanskrit : Mâyâdeha) le Corps Illusoire, Milam, le Sentier du Rêve, Eusel, la Claire Lumière, Bardo, l’Etat Intermédiaire après la mort et Powa, le Transfert du principe conscient.
Parmi ces six pratiques méditatives figure donc celle dite du Corps Illusoire. Cette dernière consiste, entre autres, à se contempler dans un petit miroir (tibétain : mélong) de cuivre et à se faire des reproches compte tenu de sa laideur tant physique que morale. Puis, le méditant applique, à son propos, des épithètes élogieuses, tant il est vrai qu’il y a aussi de la beauté en lui. Il alterne, de la sorte, remarques déplaisantes et réflexions agréables, réprimandes et louanges ; le but étant premièrement, de prendre conscience de ses failles, comme de ses atouts et, ensuite, de parvenir à rester indifférent aux blâmes comme aux félicitations, aussi impassible, pourrait-on dire, qu’un miroir qui, quel que soit l’objet qu’il reflète, n’est à aucun moment touché. Qu’on le méprise ou qu’on l’encense, un enfant du Bouddha ne saurait être troublé.
« De même que le roc résiste à la tempête,
De même le sage est insensible au blâme ou aux éloges », proclamait l’Eveillé[1].
On raconte qu’alors que le Bouddha résidait dans la ville de Kausambi, un homme qui ne l’appréciait guère faisait circuler, à son sujet, des racontars peu élogieux, au point que plus grand monde ne voulait nourrir les moines. A la suite de quoi, Ananda, le cousin et élève du Bouddha, demanda à celui-ci de quitter cette ville. Ce à quoi l’Eveillé lui répondit que la même situation pourrait fort bien se retrouver ailleurs et qu’un sage se doit d’être insensible aux insultes aussi bien qu’aux honneurs.
Miroir tibétain (collection privée de l’auteur)
Mais revenons à la pratique du Corps Illusoire et à son miroir dont le rôle est avant tout moral, vu qu’il est question, pour le pratiquant, de prendre conscience de ses noirceurs, aussi bien que de ses qualités. Toutefois, qu’on ne s’y trompe pas, il n’est point question ici de connaître ses faiblesses pour mieux se corriger, mais bien plutôt de demeurer imperturbable face à celles-ci. D’ailleurs, les fleurs de lotus ne sont-elles pas issues de la fange[2] ? Et puis, n‘est-ce pas encore faire grand cas de soi que de se faire des reproches[3] ? Cessons de nous prendre pour le centre du monde et grandissons un peu. Qui ne voit que la philautie, soit l’amour que de soi-même, génère immanquablement orgueil, jalousie, avarice, crainte et autres tourments ?
A dessein de combattre la philautie, le pratiquant du tantrisme indo-tibétain dispose donc du miroir, un miroir qui n’est pas sans rappelé celui du Cabinet de réflexion. C’est que celui, ou celle, qui s’apprête à pénétrer dans ce lieu de méditation qu’est le temple et à s’engager dans la voie maçonnique se doit d’opérer un renversement sur lui-même afin de procéder à un examen de conscience. Ce à quoi l’invite le miroir du Cabinet de réflexion n’est autre qu’un voyage intérieur. De connaissance de soi, il est question, mais une connaissance de soi morale.
Quant au miroir, que l’impétrant découvre en fin d’initiation, du moins au Rite Ecossais Ancien et Accepté et au Rite français, l’une des questions que l’on devrait se poser est celle de l’ennemi qui nous est désigné. N’oublions pas que le miroir ne nous donne à examiner qu’une apparence de nous-même. Pour éviter le narcissisme qui guette chacun, le parrain, ou bien la marraine, servira de guide tout au long du cheminement initiatique.
[1] Dhammapada, Les Vers de la Doctrine, trad. A. Chédel, éd. Dervy-Livres, coll. Mystiques et Religions, Paris, 1976, VI, 81, p. 33.
[2] Voir, à ce propos, l’article de Jean-Marc Bazy, Le lotus publié dans La Lettre des Compagnons du Dharma, n°1, sept. 2021, rubrique « Regards Croisés », pp. 6-7.
[3] Michel de Montaigne ira dans ce sens lorsqu’il écrira que « Ce qu’on hait, on le prend à cœur », Essais, éd. Presses Universitaires de France, Paris, 1978, Tome 1, I, L, p. 304.
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