Le cuisinier, appelé Tenzo dans la tradition du zen, est un personnage important, le deuxième après le maître dans le temple. En tant que cuisinier, il apporte « le réconfort et le bien-être nécessaire à la pratique ».
Au XIIIe siècle, Dogen, maître zen japonais, donna des instructions très précises et expliqua le sens de la fonction. Il évoquait trois dispositions que devait entretenir le cuisinier : l’allégresse (traduit aussi par joie), la gentillesse ou la bienveillance et la largesse (ou grandeur d’esprit).
Il ne s’agit pas seulement de préparer les repas comme dans la vie courante, ou comme de grands cuisiniers, mais d’avoir l’esprit “éveillé”, être complètement dans l’action de faire. C’est être « cuisinier » de sa vie, chercher les bons ingrédients en ouvrant simplement les yeux, regarder autour de soi, « notre corps est un ingrédient, nos relations sont des ingrédients.
Nos pensées, nos émotions et toutes nos actions sont des ingrédients » nous dit Dogen. Il nous arrive de ne pas remarquer ce qui est autour de soi, ne pas voir qui est devant nous, tant nous sommes dans nos pensées, nos certitudes, nos peurs, nous créons nos limites. Pour le cuisinier, ce sont des ingrédients de valeurs, qu’il transforme par la pratique de l’attention vigilante, en un plat « royal ».
La fonction de Tenzo demande de l’organisation : construire et penser des menus pour chaque jour (ceux-ci sont végétariens et donc avoir une connaissance des besoins du corps), prévoir les quantités, être précis dans le minutage. Elle peut être vue comme une activité harassante, stressante si on n’est pas dans l’esprit de la Voie, qui apporte la joie.
Joie au travail, joie du partage, de nourrir les êtres, celle-ci doit être sans attente.
Dans les débuts comme Tenzo, on peut être dans le désir d’une reconnaissance : les plats peuvent être trop généreux en quantité (un ego trop présent), trop épicés (agressivité), trop riches (être dans l’excès). Le travail, l’attention que l’on porte à chaque moment permet avec le temps d’acquérir un esprit calme et joyeux.
Le deuxième point qu’évoque Dogen est la bienveillance, qui est « le sentiment d’un père ou d’une mère à son enfant » explique-t-il. Cuisiner est une pratique d’attention bienveillante ! Prendre soin des casseroles comme si c’était la chose la plus importante de sa vie, voir le grain de riz comme le monde, ainsi doit être l’état d’esprit dans lequel est le Tenzo dans sa cuisine.
Cette bienveillance associée à la joie est au service des pratiquants. La gentillesse, terme proche de la bienveillance (et parfois traduit ainsi du japonais), que l’on pourrait rapprocher de nos Agapes et particulièrement du Maître des Banquets. Sans qu’il soit en cuisine, il est responsable sur le plan matériel de l’organisation des repas. Il accueille et guide les Apprentis avec humilité, dévouement avec amour de l’autre et don de soi.
Tout cela ne peut se faire sans grandeur (ou largesse) d’esprit, « grand comme une montagne, vaste comme un océan » précise Dogen.
Le cuisinier rassemble ce qui est épars,les ingrédients dont il a besoin pour préparer les plats, et comme l’alchimiste, va accomplir la transmutation qui va apporter l’énergie vitale.
Il accueille ce qui est, sans distinction ni discrimination, et par ce renouveau sans cesse des repas, doit avoir l’esprit non dispersé.
La pratique du Tenzo est un chemin spirituel, une Voie de Sagesse qui amène à dépasser ses passions, à se « connaître soi-même », prendre conscience de ce que l’on est à travers une pratique exigeante.
On peut considérer le cuisinier comme un passeur, il apporte l’énergie nécessaire à la vie, par ce qu’il fait mais aussi par ce qu’il est.
Son rôle est essentiel.
Pierre Chatelain
Photo : Christophe Richard. JAPON (Île de SHIKOKU)
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