Conscience et fraternité
- Jean-Marc Bazy
- 5 mars 2023
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 juil.
C’est « Conscience » qui m’a fait venir à vous et vous visiter. Vous connaissez la suite. Il m’a donc semblé normal et spontané lorsque notre VM m’a demandé une planche de réfléchir sur « Conscience & Fraternité ».
La définition du mot conscience n’est pas facile. Et pour tout dire pourrait bien constituer une énigme c’est-à-dire un savoir qui échappe à l’être humain. Et pourtant tout le monde sait ce qu’est la conscience même intuitivement.
Vient à l’esprit : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » de Montaigne, « prendre conscience » qui serait une lumineuse irruption dans une nuit opaque, celle de « l’inconscience ». Pour Nietzsche, la conscience n’est qu’un phénomène superficiel qui nous donne l’illusion d’être le sujet de nos pensées, alors que l’homme est animé par des forces inconscientes inscrites dans le corps plutôt que dans l’esprit.
Le « je pense donc je suis » de Descartes (et pourtant on verra que si je pense trop, je ne suis pas)
Quelques réflexions de grands penseurs : « La conscience est un livre qui doit être consulté sans arrêt » (Blaise Pascal)
« Ne faites rien contre votre conscience même si l’Etat vous le demande » (Einstein)
« Ce que tu ne ramènes pas à ta conscience te reviendra sous forme de destin » (Jung)
« Le manque de conscience fait naître la souffrance, la souffrance fait naître la conscience, la conscience fait disparaître la souffrance » (Annie Marquier)
« La conscience est comme un éclair au milieu d’une longue nuit, mais c’est un éclair qui est tout » (Raymond Poincarré dans la valeur de la science 1905)
« Une prise de conscience est comme un soleil ; lorsqu’il brille sur les choses, elles sont transformées » (Thich Nath Hahn)
Et puis cette nouvelle vague dite de la « pleine conscience ».
Nous allons donc entamer ce voyage dans la conscience par son contraste, une sorte de définition négative : l’inconscience. Quelques exemple de stades ou états de l’inconscience : la mort (je commence par le plus polémique pour les idéalistes), le sommeil, le coma, le temps de l’anesthésie chirurgicale, les états végétatifs, léthargiques, certaines maladies comme Alzheimer, les états d’emprise alcoolique,
médicamenteuse (stupéfiants), les états addictifs, les états d’absence (il n’y a pas trois temps passé, présent ou futur, il n’y en a que deux :présent ou absent), les troubles de l’attention, de torpeur, de distraction, ou de soumission à des systèmes plus ou moins aliénants voire totalitaires de propagande, de complotisme, de fake news ou même de publicité(la publicité clandestine de Vance Packard). De nombreuses situations nous rendent inconscients, que l’on associe à une obscurité, une nuit noire. Notre égoïsme (à quoi suis-je sourd ?), notre avidité et nos haines (j’aime à rappeler que dans nos états de colère nous devenons physiologiquement sourds et aveugles) ne nous font-ils pas plonger dans la nuit de la non conscience ?
Ainsi tout ce qui pourra contribuer à nous faire sortir de cette gangue pourrait nous rendre plus « conscients ».
Positivement, la conscience est une fonction humaine (mais question immédiate ne pourrait-on pas la prêter aussi aux animaux ou même aux végétaux cf la vie secrète des arbres) même si dans ces règnes elle semblerait moins développée ; c’est une connaissance (d’où le terme cognitif), sur fond d’expérience empirique et d’enregistrement dans une bibliothèque de mémoire, sa mise en oeuvre convoque une forme d’introspection, « d’examen de conscience » et puis et peut-être surtout, comme elle a conscience d’elle-même, elle est dite réflexive (on parle de métacognition c’est-à-dire avoir une pensée sur ses propres pensées) ; elle est vigilance et signe l’intensité de notre présence au monde et aux autres. Cette conscience d’elle-même la projette comme autonome (ce qui se discute, j’y reviendrai). Cette connaissance procède-t-elle de notre intelligence ou l’englobe-t-elle ? Elle est relation (conscience « de »), perception, et d’abord celle que nous avons de nous-même en particulier de notre existence psychique (nos pensées, notre espace mental) et de notre corps physique (quoiqu’il est nécessaire que nous fassions un réel effort pour nous rendre compte que nous sommes un corps (automatisation inconsciente de nombre de nos fonctions vitales respiration, rythme cardiaque, digestion, régulation de température, gestion de notre immunité, système robotisé d’auto-défense..) ; ainsi se cultive la proprioception bien connue en sophrologie qui désigne la perception plus ou moins consciente de la position des différentes parties du corps (mais difficile de prendre conscience de l’existence même de notre cerveau) et l’entéroception c’est-à-dire la capacité à évaluer de manière exacte son activité physiologique ce qui semble impossible sans des outils extérieurs (exemple je ne peux évaluer moi-même ma propre tension artérielle). Cette perception de soi-même ou conscience de soi est ce qui signe notre vie, la vraie vie n’est-elle pas notre vie consciente avec cette conséquence qu’elle devrait éclairer nos décisions et nos orientations essentielles ?
On ne peut nier non plus que la conscience a une dimension neurologique ou neuronale ; ainsi les états modifiés de conscience par l’absorption de champignons hallucinogènes, de chimie diverse (ne serait-ce que nos somnifères ou certains
neuroleptiques ou anti-dépresseurs), ou d’excès alcoolique nous prive d’une réelle conscience.
C’est donc aussi un système complexe et biologique de gestion de l’information très élaboré chez l’être humain (et les grands primates).
Assez vite on tombe aussi sur la notion de « conscience morale », ainsi avoir mauvaise conscience c’est ressentir en soi une perception de culpabilité.
Sur un autre plan, un être « consciencieux » est quelqu’un qui fait bien son travail, qui est appliqué et concentré à sa tâche. Consciencieux signifie sérieux.
Donc des premières tentatives d’approche on peut dire qu’il s’agit d’une faculté profondément humaine, hautement cognitive chez l’homme, neuronale, corrélée(ou intégrée) à notre intelligence, réflexive (capable de se penser elle-même) dont la fonction essentielle est la connaissance (qu’est-ce qu’une prise de conscience sinon accéder à un autre niveau de connaissance jusqu’alors caché), et qui est basée sur nos capacités perceptives (en bon état) d’abord puis de jugement et de classement de l’information. Ainsi se dessine une notion de « qualité » de conscience qui serait plus ou moins éclairée et large avec une capacité de discernement clairvoyant et donc de possibilité plus ouverte de choix décisionnel et de présence au monde. On parle alors de « niveau de conscience ». Je suis mon cône de lumière c’est-à-dire conscient de mes limites et du travail à accomplir pour l’agrandir.
Ce moment de conscience on l’a vu est étroitement associé (peut-être n’est-il que cela) à nos capacités neuronales et cérébrales, à leur fonctionnement préservé et non dégénéré : conséquence de cette prise de conscience : c’est un moment rare, une séquence courte (Vous avez eu la chance unique de prendre forme humaine ne perdez pas votre temps Dogen) dont il est impératif de prendre soin, d’éviter de le maltraiter, lié à notre passage éphémère dans ce précieux corps humain. Précieux justement car il permet cet accès à la conscience.
Se pose ici une question qui reste ouverte : la conscience a-t-elle son siège exclusivement dans notre système nerveux et notre cerveau ? Ou bien notre cerveau fonctionnerait-il que comme une antenne, récepteur d’une conscience plus large ou universelle ?
J’avoue opter pour la première hypothèse. Des travaux récents (publiés en Septembre 2019) chez des patients atteints de lésion cérébrales du lobe frontal ont montré que l’esprit est inscrit dans la matière cérébrale et non séparé du corps (cf article sur l’anosognosie) alors que pendant longtemps les neuroscientifiques ont considéré que
la conscience était le fruit d’une interaction neuronale massive, un « embrasement dans son entier sans qu’une aire spécifique du cerveau lui soit réservée »).
La seconde pourrait bien être la conséquence du caractère réflexif de la conscience c’est-à-dire une illusion. Une illusion utilissime, mais une illusion.
Propos sur le caractère réflexif de la conscience
Je peux prendre conscience de l’existence de ma conscience. Elle possède cette aptitude singulière à se penser elle-même (métacognition). Cette capacité de distanciation fonde un certain nombre de conséquences : le jugement moral évoqué tout à l’heure, la bonne ou mauvaise conscience, la présence supposée d’une autorité supérieure, jugeante, discriminante et parfois autoritaire voire tyrannique. C’est l’oeil dans le triangle « je te vois » celui qui voit tout et qui est en mesure d’exercer une censure. Cette fonction réflexive de l’esprit a donné la projection d’une autorité supérieure de nature divine. Dans la Chine ancienne, il était recommandé d’éviter de mettre une tête supplémentaire sur sa propre tête car sinon on risquait de stagner dans un monde purement virtuel (mille exemples aujourd’hui avec l’univers numérique, les casques de réalité virtuelle ou augmentée ; on nous annonce même un « métavers » et de nouveaux supermarchés virtuels). Cette fonction est pourtant utile : c’est notre capacité d’imaginer (qui nous fait entrer dans un univers virtuel) qui est aussi notre capacité à conceptualiser et donc à penser le monde. Voyage indispensable pour qui aspire comme nous FM à le changer ou à l’améliorer. Mais demeurons toujours « conscients » que cette projection est une image virtuelle, qui si elle est un phare ou une boussole n’est pas la réalité. A défaut, nous risquons de très graves et funestes confusions et leurs conséquences : la détestation de tout ce qui n’est pas conforme à mes brisées, à mes désirs, à mon système de valeurs bien sédimenté, des passages en force (de l’idéalisme du parent qui projette sur son enfant ses propres désirs en demeurant aveugle ou insensible à sa véritable configuration à l’idéalisme de la Grande Russie de Poutine qui engendre tueries, exactions, destructions et haines par ricochet). Prendre ses désirs pour la réalité est dangereux. De cela aussi, en FM comme ailleurs nous avons à prendre conscience, ce qui au passage fonde la véritable tolérance.
La conscience trouve un champ d’exercice nécessaire au travers d’une notion voisine(quoique) qu’est l’attention et la pratique de l’attention. Qu’est-ce que « faire attention » sinon exercer, aiguiser sa conscience, condition indispensable au travail bien fait et à la réflexion juste (tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler). Lorsque nous « faisons attention » (on devrait faire attention comme on fait société),
ne sommes-nous pas plus conscients, plus présents, plus responsables de nos actes, plus intensément acteurs et sensibles de nos vies, plus « alignés » (comme on dit dans le yoga), c’est-à-dire faisant coïncider corps et esprit dans une plénitude d’unité ?
Et c’est ici que pourrait bien se conjuguer toutes nos valeurs maçonniques : dans l’attention ou le « regard profond ». Nous pouvons être présents physiquement mais notre esprit naviguer ailleurs càd faussement présents et réellement absents tout en donnant le change d’une présence authentique ; lorsque nous sommes distraits, nous sommes ailleurs mais où ? Cette présence authentique signe de son véritable sceau toutes nos sincérités d’engagement dont nous sommes au fond les premiers juges dans une immédiate conscience ou une immédiate distraction. Serment maçonnique mais aussi tous nos engagements envers nos proches, mûrement et longuement soupesés (autre caractéristique de la conscience) [devoirs envers sa famille, sa patrie et l’humanité ; ça ne vous rappelle rien ?]
Voilà que se dessinent les contours de la Fraternité deuxième terme de ce travail, avec un grand F ; La philosophe Simone Weil disait : « L’attention est la forme la plus pure de la générosité ». La générosité signifie le don gratuit, désintéressé, sans attente de retour récompentiel, le véritable élan du coeur [ma définition de l’amour : ne pas mettre de poids sur ceux qu’on aime & la première vertu ou paramita des Bouddhistes)
La FM glorifie le travail (possible sujet de planche vu les polémiques sur son recul et la glorification de la paresse) ; or nous pouvons, nous devons comme apprendre le solfège de l’attention, c’est un ouvrage sans cesse renouvelé, un effort tendu vers un but, patient et parfois un peu obstiné. Mais le salaire est au rendez-vous : il se nomme élévation du niveau de conscience. Car qu’est-ce que faire attention sinon prendre soin, autre caractéristique de la Fraternité qui est bienveillance active, confiance, compréhension et accueil de l’Autre ; un dicton tibétain dit : « Considère tous les êtres comme s’il s’agissait de tes père et mère », autre déclinaison du lien qui unit tous les FM.
La question est : Comment mettre cela en pratique, en « musique » ? Quelles méthodes utiliser ? Notons au passage que ce prendre soin qui serait plus « féminin » a donné lieu à l’éthique du care notamment dans l’univers médico-social soit la capacité à prendre soin d’autrui « activité caractéristique de l’espèce humaine qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer, et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nos personnes, notre environnement, tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie » (étude Carol Gilligan 1982 et Joan Tronto penseurs américains).
Sur les méthodes
Impossible à ce stade de ne pas évoquer la pratique d’introspection intérieure verticale silencieuse de l’apprenti que l’on retrouve dans toutes les écoles de méditation.
- La méditation pratique multi millénaire éprouvée qui a donné lieu à une définition très fine de la conscience que les plus anciens méditants bouddhistes ont théorisé sous le vocable des 5 agrégats de la conscience : perceptions brutes, sensations, sentiments-émotions, conceptualisation, conscience dans une progression de niveau du brut sommaire et impensé au plus élevé ; agrégats profondément corrélés à nos 5 sens donc à notre système perceptif avec l’opération du retraitement cognitif de l’information brute. Un son me parvient, il me traverse, m’émeut, je lui mets une étiquette (un chant d’oiseau) je prends conscience de l’ensemble du cheminement. L’ensemble s’harmonise consciemment dans l’unité, la perception de faire corps avec le son exactement comme lorsque consciemment nous nous tenons les mains dans notre chaîne d’union.
Pour les tibétains, chacun de nos sens est une conscience en soi. Apprendre à les savourer lentement est une porte ouverte sur le lien amoureux et fraternel avec la réalité et autrui. J’aime à dire que les sens montrent le sens.
L’ENIGME DE LA CARESSE DE LEVINAS
Car la méditation est lien, attention profonde à ce qui est là, quelle que soit la nature de ce qui apparait DANS NOTRE CHAMP DE CONSCIENCE.
- Un mot au passage sur les 4 moments de la méditation constatés par les neuroscientifiques : vagabondage mental (inconscient), prise de conscience de ce vagabondage mental, réorientation de l’attention (par exemple sur ma respiration), concentration-attention stabilité- intensité de la présence.
Alors la conscience ? Au terme de cet examen -de conscience- sommes-nous devenus plus « conscients » ? Avons-nous augmenté notre cône de lumière (pourquoi à l’Orient ?) ; que vivons-nous lorsque quoique que ce soit envahi notre champ de conscience sans que nous ayons l’impression que nous ne puissions rien y faire ? j’expérimente que mon univers est d’abord mon univers mental que j’ai tendance à projeter comme tout l’univers ; fascinant de penser qu’il existe autant d’univers mentaux que d’êtres humains voire animaux ou végétaux, et par quel media est ce que
j’entre en contact avec mes semblables ? Fonction relationnelle et questionnant par exemple : ma conscience pose la question : Quelle est ma conscience lorsque je ne suis qu’au stade de l’ovule fécondée ? et au stade d’avant lorsque je suis coupé en deux ?
C’est cette projection qui ouvre l’occasion de se questionner et d’augmenter la connaissance ; cette compréhension ouverte de « quelle était la forme de ton visage avant la naissance de tes parents ? » qui entrouvre la porte de ce que nous nommons Fraternité mais qui est Amour universel.
Ce sont ces prises de conscience qui permettent la libération de tous les esclavages (qui est surtout une conscience emprisonnée parce que soumise et conditionnée par la fermeture de l’insensibilité ou de l’horrible calcul cynique de traiter son semblable comme une chose ou une bête de somme ou comme de la chair à canon), de faire passer de l’ignorance-illusion à l’éveil de la conscience. Symboliquement de relier l’oeil dans le triangle à l’Orient [Conscience] et la houppe dentelée comme une chaîne d’union réunissant l’humanité [Fraternité] et si Conscience universelle existe, elle ne peut que se trouver dans cette conjonction accomplie, vécue, vivante, non dans une projection imaginaire théorique parce que virtuelle ; c’est parce que nous sommes devenus conscients que nous sommes devenus fraternels, grâce à ce saut qualitatif si bien dépeint par notre BAS Floriane dans sa planche sur l’Amour Fraternel, ce saut qui de conscience qui nous fait passer de l’égoïsme inconscient à l’altruisme conscient et fraternel. Car Fraternité signifie : issus de la même famille, ciment du lien et du liant, lien d’inconditionnalité de la famille des FM qui sous-tend ce rappel du devoir du FM d’aider et secourir son FF dans l’adversité fusse au péril de sa vie.
Les fondateurs de cette RL lui ont donné un titre distinctif riche de sens c’est-à-dire d’indicateur de direction, d’outil et de pierre à dégrossir à polir et à construire.
Qu’ils soient ici, avec une profonde gratitude, profondément remerciés pour cette magnifique intuition.
J’ai dit VM
Le 5 octobre 2022
Jean-Marc BAZY
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